13 May 2025
Nouvelle Charte de l’investissement au Maroc : Ce que change vraiment le nouveau dispositif dédié aux TPE-PME
Alors que le Maroc cherche à se positionner comme une plateforme économique régionale et un terrain fertile pour l'investissement, la nouvelle Charte de l'investissement, promulguée en 2022 (loi-cadre n°03-22), marque un tournant stratégique. Plus qu’un simple texte législatif, elle pose les bases d’une refonte complète de l’écosystème de l’investissement, articulée autour de neuf objectifs clés, allant de la création d’emplois stables à l’encouragement de la production locale en passant par la réduction des disparités territoriales.
Mais un cap décisif vient d’être franchi : le 10 avril 2025, le Conseil de gouvernement a adopté le décret n°2.22.342, instaurant un dispositif inédit de soutien financier aux TPE-PME marocaines, avec une enveloppe globale de 12 milliards de dirhams. Ce texte constitue ainsi un levier central de la nouvelle politique d’investissement, axée sur la simplification des procédures, l’équité territoriale et le soutien ciblé aux entreprises les plus vulnérables mais stratégiques pour le développement économique national.
Un dispositif de subvention taillé sur mesure pour les TPE-PME
Ce nouveau mécanisme vise à encourager les entreprises à investir localement, à créer des emplois stables et à s’inscrire dans une logique de développement régional. Il s’adresse aux entreprises dont le chiffre d’affaires est compris entre 1 et 200 millions de dirhams, ce qui couvre une large part du tissu entrepreneurial marocain, tout en excluant les très petites entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur à 1 million de dirhams, sauf si elles sont nouvellement créées.
Conditions d’éligibilité
Pour bénéficier de cette subvention, plusieurs critères doivent être réunis :
- Montant du projet d’investissement : compris entre 1 et 50 millions de dirhams.
- Apport en fonds propres : minimum de 10 %.
- Structure du capital : ne pas être détenue à plus de 50 % par une entité ayant un CA > 200 millions de dirhams.
- Indépendance : aucune personne morale de droit public ou entreprise publique ne doit figurer dans le capital.
- Création d’emplois : un ratio d’emplois stables ≥ 1,5, calculé comme suit : (Nombre d’emplois stables créés / montant total de l’investissement) × 1 000 000
- Secteurs éligibles : déterminés par arrêtés régionaux, en lien avec les priorités territoriales.
Ce ciblage est pertinent : il permet d’éviter les effets d’aubaine pour les grandes entreprises tout en incitant les PME à s’inscrire dans une logique de croissance inclusive et territorialisée.
Quelle aide financière concrètement ?
Le dispositif prévoit une subvention pouvant aller jusqu’à 30 % du montant total de l’investissement, répartie en trois primes cumulables :
La liste des provinces ou préfectures relevant des catégories A et B ci-dessus est fixée par arrêté du Chef du gouvernement pris sur proposition de l’autorité gouvernementale chargée de l’intérieur.
Convention d’investissement
L’octroi des primes est subordonné à la conclusion d’une convention d’investissement avec l’État, mentionnant notamment :
- La nature du projet d'investissement ;
- La branche d'activité dans laquelle il sera réalisé ;
- Le lieu de réalisation du projet ;
- Le montant d'investissement total prévisionnel, ainsi que le montant d'investissement primable ;
- Le nombre d'emplois stables à créer ;
- Les primes à l'investissement dont l'investisseur peut bénéficier et les modalités de leur octroi ;
- Les obligations respectives de l'État et de l'investisseur ;
- Les modalités de contrôle de l'exécution des obligations contractuelles ;
- Les mesures pouvant être prises en cas de manquement à ces obligations ;
- Les modalités de règlement des différends entre l'investisseur et l'État.
À noter : L’État pourra exiger un remboursement des primes en cas de non-respect des engagements pris par l'investisseur.
Procédure de demande
- Le dossier de demande (pièces fixées par arrêté du Chef du gouvernement) est à déposer électroniquement auprès du Centre régional d’investissement (CRI) dans le ressort territorial duquel le projet d’investissement sera réalisé ;
- Après vérification de l’éligibilité des investisseurs au dispositif, les CRI arrêtent la liste des projets retenus, dans la limite des crédits alloués et selon le principe « premier arrivé, premier servi » ;
- Les projets de conventions d’investissement, établis dans le cadre de ce dispositif, sont approuvés par les Commissions Régionales Unifiées d’Investissement (CRUI) ;
Une fois approuvées, les conventions d’investissement sont signées par :
- Le wali de région,
- Le directeur du CRI,
- Le représentant régional du ministère de l’Économie et des Finances,
- et l’investisseur.
À noter : Le projet doit être réalisé dans un délai de 3 ans à compter de la signature de la convention (sauf stipulation ou cas de force majeure).
Rôle des Centres régionaux d'investissement (CRI)
Les CRI sont chargés de :
- Vérifier la complétude des dossiers ;
- S'assurer de l'éligibilité des projets ;
- Calculer le montant d'investissement primable et les primes correspondantes ;
- Élaborer les projets de conventions d'investissement ;
- Procéder au déboursement des primes ;
- Établir des rapports semestriels sur l'exécution des conventions.
À noter : Le dispositif est cumulable avec les dispositifs mis en place par les régions en matière de soutien aux entreprises et d'attraction des investissements.
Entreprises nouvellement créées
Les TPME nouvellement créées peuvent bénéficier du dispositif, sous réserve du respect des conditions prévues, à l'exception de celle relative au chiffre d'affaires.
Cette exception permet donc d'encourager la création de nouvelles entreprises en facilitant leur accès aux primes et aux aides à l'investissement, sans la contrainte du chiffre d'affaires minimum exigé.
Rôle de l’Agence nationale pour la promotion de la PME
L'Agence nationale pour la promotion de la PME est chargée d'apporter son assistance technique aux centres régionaux d'investissement dans le déploiement du dispositif de soutien spécifique destiné aux très petites, petites et moyennes entreprises.
Un bémol : les plus petites structures risquent d’être laissées pour compte
L’un des aspects les plus discutés de ce décret concerne l’exclusion des très petites entreprises (TPE) réalisant moins de 1 million de dirhams de chiffre d’affaires. Ce choix peut se comprendre par une volonté de concentrer les ressources sur des structures déjà en phase de consolidation. Toutefois, il pourrait aussi creuser davantage les écarts dans le tissu entrepreneurial, alors même que ces très petites structures représentent l’essentiel des entreprises informelles ou semi-formelles au Maroc.
Un autre risque : la complexité administrative du dispositif. L’exigence de transparence sur le capital, ou encore les conditions territoriales risquent de freiner certaines entreprises dans leur dépôt de dossier, surtout si le dispositif n’est pas accompagné par un guichet unique efficace.
En conclusion
Ce décret est une avancée notable pour le soutien ciblé aux PME marocaines, un segment longtemps resté à la marge des politiques publiques. Il répond à des enjeux très concrets : emploi, territorialité, investissement productif, tout en matérialisant les ambitions affichées par la Charte de l’investissement.
Mais l’équilibre entre ambition, efficacité et accessibilité devra être scrupuleusement suivi, pour que cette politique ne reste pas cantonnée à une minorité d’acteurs déjà bien structurés.